TIP 17 Responsabilité en cas d’augmentations de prix ou de difficultés d’approvisionnement de matériaux

EN TANT QUE CONCEPTEUR, POUVEZ-VOUS ÊTRE TENU RESPONSABLE DES AUGMENTATIONS DE PRIX ET/OU DES PROBLÈMES D'APPROVISIONNEMENT DE CERTAINS MATÉRIAUX AUXQUELS LE MAÎTRE DE L’OUVRAGE DOIT FAIRE FACE ?

Auteurs: Tom Cromphout et Aurélie Eggerickx juristes au sein du service d’études de PROTECT SA – juillet 2022

Les questions relatives à l’augmentation importante du prix de certains matériaux de construction ainsi que les problèmes d'approvisionnement, entraînant des retards de chantier, furent régulièrement mises en évidence au cours de ces derniers mois. Il s’agit non seulement du résultat de la pandémie, mais aussi celui de la guerre en Ukraine ; ce qui nous fait craindre pour l’avenir.

Lorsque des situations telles que celles décrites ci-dessus se produisent pendant l’exécution des travaux, il n’est pas rare de voir le Maître de l’Ouvrage se tourner vers le concepteur. La question qui se pose est donc la suivante : ces évènements constituent-ils des risques pour lesquels votre responsabilité de concepteur peut être éventuellement engagée ?

1. GÉNÉRALITÉS : QU'EST-CE QUE LE DÉPASSEMENT DE BUDGET ET LE CONCEPTEUR EN EST-IL INÉLUCTABLEMENT RESPONSABLE ?

1.1 Qu’est-ce que le dépassement de budget et quelles sont les obligations du concepteur en terme de budget ?

Pour faire simple, il y a dépassement de budget lorsque le budget prédéfini n’est pas respecté. Le budget est le montant dont dispose le Maître de l’Ouvrage ou celui qu'il a réservé afin de réaliser son projet. Si le coût final du projet dépasse le montant prédéfini, l’on parle alors de dépassement de budget.

En tant que concepteur, votre mission consiste à mettre en œuvre tous les moyens mis à votre disposition afin d’élaborer un projet qui puisse être réalisé dans le cadre du budget défini par le Maître de l’Ouvrage et à vérifier, pendant l'exécution des travaux, que ce budget soit bien respecté.
En tenant compte de ce budget, le concepteur réalisera un projet et remettra, sur cette base, une estimation. L'estimation est une évaluation du coût du projet et n'est dès lors pas synonyme de « budget ». L’estimation, quant à elle, se précise à mesure que le processus de conception avance et que des choix concrets se font. L'objectif est bien entendu de veiller à ne pas dépasser le budget lors de l'élaboration du dossier d'exécution et de l'attribution des travaux à l’entrepreneur.

Lors de l'exécution des travaux, le concepteur vérifie non seulement les états d'avancement mais, il doit également veiller à ce que le budget ne soit pas dépassé. Par ailleurs, il revient au concepteur d’informer le Maître de l’Ouvrage lorsqu’il existe de quelconques indices le menant à penser que le respect du budget sera compromis et ce, afin que des mesures puissent éventuellement être prises à ce moment-là.

Enfin, il est généralement admis, en jurisprudence, que tout projet puisse faire l'objet d'un certain dépassement budgétaire de sorte que le Maître de l’Ouvrage doit, lors de l’établissement de son budget, en toute vraisemblance, tenir compte d'une certaine marge. La jurisprudence a estimé que cette situation ne pouvait être qualifiée d'anormale que s’il existait un dépassement de 10 à 12 % du budget total et ce, pour des raisons autres que celles liées à des modifications et/ou des suppléments exigés par le Maître de l’Ouvrage ou encore à des éléments imprévus.

1.2 Causes potentielles du dépassement de budget

Un dépassement de budget peut trouver sa source dans diverses causes qui, dans de nombreux cas, ne seront pas imputables au concepteur.

Elles peuvent, entre autres, consister en des modifications ou des travaux supplémentaires demandés par le Maître de l’Ouvrage, de nouvelles constatations qui apparaissent en cours de route (par exemples : mauvaise composition du sol ou construction existante en mauvais état), des facteurs externes imprévisibles (par exemples : un nouveau co-contractant reprenant un projet après l'échec ou la défaillance du précédent ou une nouvelle réglementation imposant des exigences plus strictes que la précédente), etc.

Dans certains cas, le dépassement du budget peut effectivement être imputé au concepteur. Nous pensons, en premier lieu, à une conception incomplète d’un projet pour lequel, en cours d’exécution des travaux, il s'avère que des travaux supplémentaires doivent être faits afin de réaliser le projet tel qu'il a été conçu. Cependant, ce dépassement budgétaire n’implique pas pour autant l’existence d’un dommage et nous vous renvoyons à l'article exhaustif publié en 2017 par PROTECT : « Le concepteur est-il automatiquement responsable des suppléments en cas de faute ?
Le concepteur est-il automatiquement responsable des suppléments en cas de faute ?

Il va sans dire que le concepteur n'est ni responsable de l’augmentation des prix ni des problèmes d'approvisionnement bien que ceux-ci constituent, pour l’heure, notre réalité. En effet, aucun des partenaires de la construction ne pouvait prévoir une telle situation alors même que le Maître de l’Ouvrage, le(s) entrepreneur(s) et le concepteur y sont, désormais, confrontés.

1.3 Les conséquences du dépassement budgétaire

Comme mentionné supra, il y a dépassement de budget lorsque le coût réel du projet est supérieur au montant initialement prévu pour celui-ci. En principe, il appartient au Maître de l’Ouvrage de suppléer à ce dépassement.

En effet et en règle générale, il ne parviendra pas à récupérer ce montant auprès de l'une ou de l'autre partie, puisque dans bon nombre de cas, le dépassement budgétaire ne constitue pas un dommage en lien causal avec une erreur ou un manquement imputable à l'un des partenaires de la construction.

Les éléments constitutifs de la responsabilité civile sont les suivants : faute – lien causal – dommage. Pour le dire autrement, afin que votre responsabilité civile puisse être engagée, il faut pouvoir démontrer qu’une faute (vous étant imputable) soit en lien causal avec le dommage dont se prévaut la « victime ».

Quand bien même il serait possible de démontrer qu’une erreur de conception fut commise dans le cadre d’un dépassement budgétaire - par exemple parce que certains postes n’auraient pas été prévus dans le cahier des charges ou parce qu'un montant aurait été sous-estimé – on conclura, dans la majorité des cas, a une absence de dommage (pour rappel, l’un des trois éléments constitutifs de la responsabilité). En effet, si cet élément avait été pris en compte dès le départ, le client aurait de toute façon dû le payer. Pour le dire autrement, il n’appartient pas au concepteur de payer pour ce que l’on appelle les coûts différés de construction. En ce qui concerne la notion de « coût différé de construction », nous vous renvoyons à l'article de PROTECT cité supra.

2. IMPRÉVISIBILITÉ DE L’AUGMENTATION DES PRIX ET DES RETARDS CONSÉCUTIFS AUX PROBLÈMES D'APPROVISIONNEMENT

Il va de soi que le concepteur ne peut être tenu responsable d’un dépassement de budget qui pourrait survenir en raison de l’actuelle augmentation des prix sur le marché ou des problèmes de livraison auxquels font récemment face les entrepreneurs.

Une augmentation de prix ne peut, en règle générale, être répercutée sur le concepteur, et celui-ci ne peut pas non plus être tenu entièrement ou partiellement responsable du préjudice subi par le Maître de l’Ouvrage en raison d'un retard dans l'exécution.

En effet, le concepteur aurait pu difficilement se prononcer, in tempore non suspecto, sur une situation qui, lors de l'élaboration des plans et du dossier d'appel d'offres ou lors de l'assistance dans le choix d’un ou des entrepreneur(s), n'était, à l'époque, pas prévisible. Pas plus qu’il n’aurait pu prendre en compte, lors de son estimation, les augmentations de prix qui, elles aussi, n'étaient pas prévisibles.

Nous estimons, dès lors, qu'un Maître de l’Ouvrage qui est confronté à des augmentations de prix ou à des retards d’exécution en raison de la conjoncture économique actuelle, ne peut en tenir le concepteur, en tout ou en partie, responsable. De la même manière que le Maître de l’Ouvrage n'est pas non plus en droit de contester une ou plusieurs factures émises par le concepteur pour des services déjà prestés, en tout ou en partie, simplement parce que le projet, compte tenu de cette circonstance, est devenu plus cher ou a été prolongé.

La question est également de savoir, en se basant sur les clauses contractuelles de la convention d’entreprise conclue avec le Maître de l’Ouvrage, dans quelle mesure ce risque doit être supporté par l'entrepreneur ?

En règle générale, les marchés sont conclus à forfait absolu ; l'entrepreneur détermine de manière préalable et définitive le prix – et même parfois le délai – dès la conclusion du contrat. Dans ce cas, si l’entrepreneur n’a pas émis de réserve ou de clause prévoyant la rémunération de certains coûts supplémentaires inattendus ou d’une rémunération consécutive à des circonstances particulières (telles que la pandémie ou la guerre en Ukraine et les conséquences qu’on lui connait), son co-contractant pourrait faire valoir qu'il est définitivement lié par ce forfait absolu, peu importe le montant de celui-ci.

Toutefois, il ne s'agit pas d'une science exacte !
La Loi relative aux marchés publics prévoit, par exemple, que l’adjudicataire (entrepreneur) peut invoquer, à certaines conditions, des circonstances imprévisibles afin de demander une révision du contrat (Art. 38/9 de l’AR du 14 janvier 2013).

Un tel principe n'existe cependant pas en droit privé. Pourtant, il ne semble pas impossible qu'un entrepreneur puisse réclamer une compensation, à tout le moins partiellement, pour certaines augmentations de prix flagrantes qui lui causeraient un désavantage considérable.
Dans ce cas, tant la charge de la preuve que le fondement juridique de la demande incomberaient, bien entendu, à l'entrepreneur.

L’on peut également constater que les entrepreneurs tiennent désormais compte de la conjoncture économique actuelle ainsi que de la pandémie en formulant certaines réserves dans leurs offres et contrats.

Il appartient au Maître de l’Ouvrage de déduire, à la lumière des documents régissant sa relation contractuelle avec l’entrepreneur, les conséquences que cela impliquerait pour lui ou pour son co-contractant.

Enfin et en tant que concepteur, il vous est vivement recommandé de tenir compte de cette situation économique et ce, notamment, sous l’angle des responsabilités dont nous reparlerons plus tard. Comme nous le verrons plus en détails ci-après (voir section « Approche et points d'attention »), il est préférable de convenir avec le Maître de l’Ouvrage que vos honoraires seront fixés en fonction du coût réel de la construction plutôt que de les plafonner à un montant forfaitaire. En outre, il faut être conscient que cette situation économique peut entraîner un surplus de travail pour lequel on peut raisonnablement attendre une rémunération.

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